Dans la danse
Éclair noir perçant du cœur la friction,
de ma nuit l'avorton de l'échine duquel
je danse ; foudre en dents de faille, trait
poignant de la grâce, splendeur dardée
sur la confusion qui toute se contorsionne
ainsi que le nain sous le pied de Nâtarâja ;
flambeau que me passe l'abîme, moins
qu'à mon corps ravi, à mon entendement
défendant : je danse, je danse, je danse...
Etonnement
Une chance, — au milieu d'éclats
multiples, admirables :
en couleur idéale, en vertu
consommée, — et même
une grâce que ç'ait été lui,
le visage humain, — parmi
diverses tailles : en rose,
en brillant, en lame de couteau...,
— qui resplendît, solitaire,
empreint d'une fêlure !
(Fl)oraison
Un frôlement de Tes pieds pareils
au lotus et, frêle comme le fruit
mûr de la balsamine, éclate mon cœur.
Tiens, ne serais-je bien que des yeux
à bois, légèrement aux abois ?
Mais, bouquet de juillet, sinon de mai,
que ma naissance soit utile autant
que celle de la fleur de ketaki *,
depuis le plus saint des jours,
qui orne le dais de Ton trône
et celui de Tes autels, ô Shiva !
Pont suspendu
Arc double subtil pendant inverse de la voûte
étoilée ou d'azur dans laquelle il se mire,
arche frêle zébrée de haubans lumineux
qui soutient ce tablier de terre...
Aucune gravité ne se lit sur ses traits
car, dans le même temps où ils touchent au ciel,
chaque membrure d'or comme un fier tisonnier,
chaque membrure d'air comme un profond soufflet,
réveille de l'abîme un soleil oublié,
radieux à mesure qu'il se lève.
Incidemment, la cendre ocreuse d'un vieux monde,
avec l'astre aussitôt remuée, automnale,
excède en voletant le bord de la chaussée,
avant de retomber dans son urne parmi
d'ardentes nébulosités...
Second souffle
Longtemps je suis resté
sur cette piste incertaine,
évanoui là, vacant,
dans le sillage des nuées
diffuses qui, sans moi,
continuaient à tourner,
tandis que sur une autre aire
affleurait une autre voie
sous le pas singulier
d'un coureur différent ;
le vent s'était levé dans l'ombre
enveloppante et feutrée
de la nuit qui m'avait surpris,
lorsque je revins à moi
sur un anneau plus près du centre...
Onze heures
Suivant la lisière encombrée
du parc où le soleil
déjà paraît à hauteur d'yeux,
le jour qui passait encore
il y a un instant inaperçu,
au milieu des ombres pressées
brumassant le regard,
le jour, par intermittence,
à travers les barreaux
de la grille, à la lisière
affluente du parc où le soleil
déjà paraît à hauteur d'homme,
(entre les nuages des pensées),
le jour jaillit comme un éclair !...
* Fleur de l'arbre Pandanus odoratissimus ou Yulla smalliana. Dans un épisode du Shiva-purâna, Vishnu et Brahma, décidés à se battre à mort, menacent de détruire l'Univers. Pour faire cesser un si terrible combat, Shiva s'interpose entre les deux adversaires sous la forme d'une immense colonne de feu et neutralise leurs armes. Surpris par ce prodige et, déjà, brûlant de curiosité, Vishnu et Brahma s'entendent à découvrir la base et le sommet de cette colonne ardente. C'est au cours de son ascension que Brahma croise une fleur mystérieuse : la fleur de ketakî. Tombée de la coiffure de Shiva, elle a chuté durant plusieurs années. Brahma lui demande alors de dire un mensonge, — de dire à Vishnu qui cherche la base de la colonne que lui, Brahma, en a découvert le sommet ; ce que fait la petite fleur. Ce stratagème déclenche la colère de Shiva qui, reprenant sa forme originale, est près de les châtier tous. Finalement, devant leur imploration, Shiva leur accorde son pardon et les bénit.
Poésies parues sur le site de Passage d'encres en 2006