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Extrait de mon prochain roman, sans titre

   Le grand rectangle — quarante-quatre mètres carrés — où j’habite, au deuxième étage d’un ancien immeuble ouvrier, est idéalement coupé en deux, sans couloir rapetissant les pièces : un séjour-salle à manger-cuisine et une chambre avec salle de bains. Mes fenêtres donnant au sud-ouest, le soleil, par temps clair, ne toque aux carreaux qu’à partir de seize heures. Fastueux pour une étudiante logée à huit kilomètres, à vol d’oiseau, de Paris Notre-Dame, un F2, au regard de la vie à deux, est riquiqui. Venir du grand air, à l’aube de l’humanité, pour soliloquer, trois cent quinze mille ans plus tard, dans des clapiers ! L’histoire n’aurait pas de sens, je ferais, je crois, une bêtise…

 

   Comme, j’imagine, les dix millions de personnes qui, selon le Centre d’observation de la société, vivent seules en France (sans conjoint, enfant, colocataire ou proche), j’ai de mauvais moments. Je ne devrais pas m'en faire car, comme s’amuse à me le répéter Annick sitôt que je m’assombris, j’ai vingt ans, je suis belle et j’ai toute la vie devant moi !

   La bouteille à la mer d’Aubert me rappelle que je rêve aussi, régulièrement, d’anciens camarades d’école, ainsi que de visages inconnus, ou que je n’ai pas souvenir d’avoir déjà vus, avec lesquels je vis des instants forts, plus intenses que ceux, parfois heureux ou privilégiés, que la réalité diurne, en domination réelle supérieure, égrène. Je rentre chez moi avec une « expectance » d’amour, comme avec une maladie. Seule encore, je suis lasse. L’homme est un être à énergie sociale. Nulle énergie sans don et recevoir.

 

   Je relève d’ailleurs que ce n’est pas le troc — mythe allégrement répandu jusqu’à nous depuis Adam Smith — qui avait cours dans les communautés premières, mais un rapport collectif de réciprocité : « Je vous donne aujourd’hui une part de ma chasse, vous me donnerez demain une part de votre pêche. »

 

   Le Chaos-VIDe ayant marqué le point-limite de la séparation générale, pour ne pas laisser errer ma pensée pendant les interdictions de déplacement et les couvre-feux à répétition, entre biologie cellulaire et génétique, j’ai commencé à rapporter sur du vrai papier, avec de la vraie encre, de petites gemmes, — j’aime. Toutes, bien sûr, ne sont pas idéales, tant par leur taille que par leurs vertus, ramassées par une jeunesse de la troisième génération des écrans. Je continue à prendre des notes, où que je sois, sur mon portable, mais j’écris chez moi, sur un cahier d’écolier à spirale 21 x 29,7.

   Au collège, des camarades crétines, princesses des « snap » et des « stories », manifestement gênées dans leur développement cognitif, me reprochaient déjà de faire des phrases. Vexé d’interrompre sa course sans, décidément, arrêter l’histoire, le Capital perclus aura encore barré d’un masque ces faciès lunaires.

   Pensée à Léa, amie si spirituelle, qui, pendant le deuxième confinement, s’est jetée du quatrième étage de sa résidence universitaire.

 

 

 

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   Le mardi 11 septembre 2018, Kevin, célibataire, croise dans la rue Elodie, célibataire aussi, qui lui jette un charmant sourire. Kevin, perdu dans ses pensées, timide ou incrédule, n’y répond pas.

 

   Quatre jours plus tard, Kevin aperçoit Elodie au supermarché. La rejoignant dans une allée, il ose un sourire. Mais Elodie garde un visage fermé.

 

    Le samedi 15 décembre, Kevin et Elodie, tous deux Gilets jaunes, se retrouvent sur le même rond-point et font connaissance.

 

   Le lundi 20 juillet 2020, la « gouvernance » met un bâillon aux Français.

 

 

 

 

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